Maintenant que nous sommes en 2020, nous pouvons le dire officiellement, le rap en France a 30 ans. 30 ans que ce genre perdure, 30 ans durant lesquelles celui-ci aura petit à petit su prendre de l’ampleur en se réinventant sans cesse, jusqu’à devenir le style le plus écouté et apprécié. 

Mais ce mouvement a bien sûr eu un commencement. Il y’a tout d’abord eu H.I.P H.O.P, la célèbre émission de télévision présentée par Sydney qui va introduire le hip-hop au grand public. Une entrée fracassante dans la vie des français qui ne va malheureusement pas durer, l’émission s’arrêtant après un an. Le grand public délaisse alors ce mouvement, le reléguant au rang de mode passée.

Mais pourtant, malgré cela, quelques personnes ayant été piqué par ce mouvement si particulier n’en démorde pas, dont notamment Dee Nasty. DJ légendaire, il va être un de ceux qui va relancer le hip-hop en organisant des blocks-party à la française au terrain vague de La Chapelle durant l’été 1986, mais surtout en lançant le Deenastyle sur Radio Nova. Une émission ouverte à n’importe qui voulant freestyler et qui va voir se succéder au micro de futures légendes du rap français.

Des épisodes ô combien importante, mais qui ne sont encore que les prémices de ce mouvement, difficile donc de considérer une de celle-ci comme la date qui a marqué le début du rap français. L’événement qui va lancer le rap français et à trouver en 1990 avec la sortie de la compilation Rapattitude. Une compilation qui va réunir tous les futures grands noms de cette musique dont plusieurs étant déjà présent lors du Deenastyle. Ainsi, NTM, MC Solaar, Assassin et bien d’autre encore vont tous se retrouver sur un seul disque portant la griffe du label Virgin et qui va sonner officiellement le départ du rap français sur disque.

Mais retour au présent et force est de constater que si le format compilation a débuté l’aventure rap, celui-ci a malheureusement petit à petit été délaissé pour les différents formats solos. Les différentes compilations comme “Hostile”, “Street Lourd” ou encore celle accompagnant les films “La Haine” ou “Ma 6t va cracker” ayant fait les beaux jours de la première décennie du rap français ont depuis étés remisées au placard, vestige d’un temps depuis passé. 

Bien entendu, les compilations ne sont pas totalement morte, on a par exemple pu voir les 2 opus de la compilation Game Over plutôt bien marcher, montrant qu’il est encore possible de créer des projets avec plusieurs têtes d’affiches du rap français réunies. Mais mis à part ce projet, nous n’avons pas vraiment eu le droit à d’autres exemples de compilations sorties récemment, confirmant que ce format est petit à petit tombé en désuétude. 

La compilation réinventée par les producteurs

On pourrait alors se demander comment un format si populaire à l’époque a pu autant perdre en popularité. Plusieurs facteurs entrent forcément en compte, mais le principal est sûrement celui du changement de mode de consommation. En effet, à l’ère du streaming et de la dématérialisation de la musique, il est maintenant extrêmement simple d’écouter la musique sous forme de single. Pourquoi alors continuer à sortir des compilation qui empile les morceaux en risquant d’en noyer certains dans la masse alors que l’on peut sortir chacun de ces morceaux sous forme de single et ainsi leur assurer une meilleure visibilité ? Difficile de rétorquer grand chose à cette logique implacable et force est de constater que la loi du marché prend le dessus à ce moment, enterrant l’idée de voir des labels se risquer à sortir des compilations.

Et pourtant, tout n’est peut être pas encore fini pour le format compilation. Car si la compilation classique organisé par des labels semble compromise, un autre type de compilation a su prendre sa place et commence à petit à petit prendre de l’importance dans le paysage rapologique français : le projet de producteur. En effet, ces dernières années, de nombreux projets de ce genre ont commencé à apparaître, qu’ils soient l’oeuvre de beatmaker installé avec les différents opus de Myth Syzer et Ikaz Boi ou d’étoiles montantes de la production avec les projets de Binks Beatz et de Ghost Killer Track. N’oublions pas non plus des EP plus indépendants comme celui du Chroniqueur Sale sur lequel on pouvait notamment retrouver Alkpote, Limsa ou encore Swenz, la suite de cet EP est d’ailleurs déjà en préparation.

Des projets permettant tout d’abord de mettre davantage la lumière sur les producteurs qui reste encore trop peu reconnu, mais pas seulement. L’intérêt principal de ces ceux-ci est qu’ils permettent de prendre les avantages du format compilation et d’y ajouter certaines qualités venant de format solo tel que l’album ou encore l’EP. En effet, si l’on écoute une compilation, c’est notamment parce que celle-ci nous propose une grande diversité d’interprètes. Cela permet en premier lieu de découvrir des rappeurs peu connus, mais aussi de laisser une liberté bien plus grande que dans les différents formats solos. L’artiste peut donc créer et expérimenter avec beaucoup moins de limite, son titre ne devant pas s’incorporer dans un tout cohérent.

Mais cette liberté a un prix et ce prix, c’est tout simplement la cohérence. En effet, en incluant autant d’artistes, on se retrouve forcément avec un projet manquant de direction artistique. On a donc de très bons morceaux lorsqu’on les prend individuellement , mais qui ensemble ne donne qu’un amas de titre sans queue ni tête et quelque peu indigeste. Et c’est justement sur ce point que le projet de producteur est supérieur au format classique de compilation. On peut à la fois y retrouver de nombreux artistes comme sur une compilation tout en y retrouvant une certaine cohérence amené par les productions du beatmaker.

La plupart des projets de producteur actuel se contente de la cohérence apportée par leurs productions, ce qui est déjà suffisant pour avoir de très bon projets. Mais certains beatmakers sont encore plus ambitieux et ne se contente pas de cette homogénéité. En effet, à mesure que ce format se démocratisent, on voit que les projets sont de mieux en mieux construits, proposant même parfois une construction presque digne d’un album. Et c’est justement le cas du projet sur lequel nous allons nous attarder aujourd’hui, Hijo, oeuvre du duo de producteur Almeria symbolisant à merveille l’éclectisme et le talent de la nouvelle génération de beatmaker français.

Hijo, exemple parfait des nouvelles compilations

Tout d’abord, quelques présentations s’imposent, comme dit plus haut, Almeria est un duo de producteur, il est formé de Phazz et d’Everydayz. Si ces noms ne vous disent rien, ils ont pourtant déjà une carrière déjà bien lancée, avec de nombreuses collaborations avec divers artistes à leurs actifs. Phazz est sûrement le plus installé des deux, ayant déjà signé plusieurs hits avec, pour ne citer que ces plus récents faits d’armes, RR 9.1 de Koba Lad et R.A.C de SCH. Everydayz quant à lui ne compte pas encore de production hit à son actif, son nom n’étant pas encore vraiment bien identifié par les grosses cylindrés de rap français. En revanche, il a déjà signé plusieurs productions pour des artistes comme Nemir, Jazzy Bazz et Laylow qui, à défaut d’être de grosses têtes d’affiches restent des artistes établis.

Deux producteurs ayant donc collaboré avec des artistes bien différents qui se sont réunis pour créer Hijo, un projet qui regroupe justement une bonne partie des artistes avec qui Phazz et Everydayz ont collaboré durant leurs carrières. Un concept intéressant qui va guider l’entièreté du disque, ce qui va se ressentir avec la présence d’artistes venant majoritairement de deux villes différentes, Lyon, ville d’origine de Phazz et Perpignan d’où vient Everydayz.

Ainsi, le projet est marqué par ces deux scènes régional, deux scènes aux ambiances sonores radicalement différentes avec d’un côté le son lyonnais, brut et sombre et de l’autre le son perpignanais, solaire et chaleureux. Le tout est relevé d’une pointe de classicisme apporté par plusieurs incursions d’artistes parisiens venant ou gravitant autour  du collectif de l’Entourage. Un mélange qui, s’il peut paraître plutôt difficile à réaliser sur le papier, donne un album très réussi, passant d’une ambiance à l’autre sans jamais que l’on s’ennuie.

Une réussite que l’on doit forcément aux artistes qui ont chacun proposé de très bonnes performances, chacun dans leurs styles, mais surtout aux travail titanesque du duo Almeria qui a su proposer des productions aussi diverses que qualitatives. Ainsi, que ce soit l’énergie de Gouap, So Sama et Mazoo, le sens de la mélodie de Nemir et Gros Mo, ou encore les egotrips tranchants de Veerus et de Prince Wally, chacune de ces qualités sont bonifié par les différentes productions.

Enfin, cerise sur le gâteau, les morceaux sont régulièrement entrecoupée d’interludes formées des différents messages laissés sur le répondeur des deux acolytes. En plus de consolider une cohérence déjà bien présente dans l’album, celles-ci nous offre des moments à mourir de rire comme les coups de pressions presque mafieux de Momo L’Dino pour être présent sur la compilation.

En bref, Hijo est un projet extrêmement réussi que l’on ne peut que vous conseiller, symbole de la bonne santé du beatmaking français. Un projet que l’on espère suivi d’autres, qu’ils soient l’oeuvre de Phazz et Everydayz ou d’autres.

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